Sois jeune et tais-toi Reproduction dâune affiche rĂ©alisĂ©e par des Ă©tudiants 1968 Source Beaux-Arts de Paris En 1968, plusieurs pays industrialisĂ©s sont touchĂ©s par des mouvements de contestation. En France, trois crises vont se superposer au cours du mois de mai 1968. La rĂ©volte Ă©tudiante dĂ©bute Ă la Sorbonne pour sâĂ©tendre ensuite partout Ă Paris. Le 13 mai 1968, la crise devient sociale avec le mot dâordre de grĂšve gĂ©nĂ©rale qui circule. Finalement, la crise politique de la Vá” RĂ©publique culmine avec les Ă©lections lĂ©gislatives Ă la fin du mois. Mai 68 marque toute une gĂ©nĂ©ration. La rĂ©volte de la jeunesse Ă©tudiante parisienne gagne ensuite le monde ouvrier et se rĂ©pand sur tout le territoire français. Lâesprit de Mai 68 reste ainsi associĂ© Ă un vaste dĂ©sir de changer lâordre Ă©tabli, en France comme ailleurs. La contestation est caractĂ©risĂ©e par lâunion des revendications ouvriĂšres avec la remise en question de grands courants intellectuels. De plus, les Ă©vĂ©nements de Mai 68 en France transcendent les frontiĂšres nationales. Mai 68 devient rapidement un symbole de la transformation de la sociĂ©tĂ© postmoderne. Par François DroĂŒin; version rĂ©visĂ©e le 13 mai 2019.
Protest! - Livre - Protest ?! explore l'univers graphique des affiches créées par les mouvements contestataires de 1968 à 1973. Six années d'une intense agitation politique et sociale, marquées, en France, par les mouvements étudiants et ouvriers de Mai 68, aux Etats-Unis, par la poursuite des luttes des minorités, les manifestations contre la guerre du Vietnam, la montée du
Provocateurs, drĂŽles ou poĂ©tiques, les slogans qui ont fleuri sur les murs parisiens en mai 68 ont contribuĂ© Ă son mythe. De nombreuses formules nĂ©es Ă ce moment-lĂ se retrouvent Ă lâidentique ou de façon dĂ©tournĂ©e sur les banderoles des mouvements sociaux actuels. Les origines ĂlaborĂ©es dans diffĂ©rents ateliers, dont ceux des Beaux-Arts parisiens, les affiches de mai 68 Ă©taient souvent rĂ©alisĂ©es Ă la demande des travailleurs par les artistes. Cinquante ans plus tard, ces slogans appartiennent Ă la culture populaire faisant appel Ă lâimaginaire collectif, autant ludiques que rassembleurs. Dâinspiration absurde pour les graffitis, comportant des jeux de mots, des oxymores ironiques ou surrĂ©alistes, chaque formule Ă©tait pensĂ©e en lien avec une actualitĂ© de la grĂšve gĂ©nĂ©rale de mai 68. Touchant toutes les gĂ©nĂ©rations, leur utilisation rĂ©currente dĂ©note pour certains de lâimmobilisme des syndicats, du fantasme de faire renaĂźtre un nouveau mai 68 ou de faire croire que le combat est toujours majoritaire. Depuis mai 1968, les mouvements militants ont Ă©voluĂ©. MĂȘme si les prospectus, les banderoles et les affiches restent importants, le tĂ©lĂ©phone portable et les rĂ©seaux sociaux sont devenus prĂ©pondĂ©rants. Ils permettent de mobiliser, communiquer et diffuser des messages sur Internet, notamment ceux de slogans de mai 68 revisitĂ©s ou repris Ă lâidentique, 50 ans plus tard ! Quelques slogans de mai 1968 Ce nâest quâun dĂ©but, continuons le combat ! » Comment peut-on penser librement Ă lâombre dâune chapelle ? » Cours, camarade, le vieux monde est derriĂšre toi » Ălections, piĂšge Ă con » A cause de lâindiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale, demain est annulĂ© » PlutĂŽt la vie » Seule la vĂ©ritĂ© est rĂ©volutionnaire » La rĂ©volution câest quand lâextraordinaire devient quotidien La police sâaffiche aux beaux-arts » Je ne veux pas perdre ma vie Ă la gagner » Sois jeune et tais-toi! » Il est interdit dâinterdire ! »auteur Jean Yanne Lâimagination au pouvoir ! » La beautĂ© est dans la rue » Mon corps est Ă moi » La police vous parle tous les soirs Ă 20h » [ORTF]; Lâinformation libre La police Ă lâORTF. Câest la police chez vous » Ăcrivez partout » La voix de son maĂźtre La volontĂ© gĂ©nĂ©rale contre la volontĂ© du gĂ©nĂ©ral ! » Ne travaillez jamais » La libertĂ© est le crime qui contient tous les crimes. Câest notre arme absolue ! » Consommez plus vous vivrez moins » Non Ă lâassociation capital travail » Jouissez sans entraves » Jouir sans entraves, vivre sans temps mort » Sous les pavĂ©s, la plage Cache-toi, objet ! » Paris, soulĂšve-toi avec rage et joie » On ne tombe pas amoureux dâun taux de croissance » Prenez vos dĂ©sirs pour des rĂ©alitĂ©s ! » Sous les pavĂ©s, la plage ! » Soyez rĂ©alistes, demandez lâimpossible. »Auteur Ernesto Che Guevara Tout est politique » Les cadences accĂ©lĂšrent, le chĂŽmage aussi » Les Beaux-arts sont fermĂ©s, mais lâart rĂ©volutionnaire est nĂ© » Faites lâamour, pas les magasins » Non aux bidon villes, non aux villes-bidons » La chienlit, câest lui ! » Ne soyez pas des moutons » Tout pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument » Fermons la tĂ©lĂ©, Ouvrons les yeux » Quand les parents votent, les enfants trinquent » On ne peut plus dormir tranquille lorsquâon a une fois ouvert les yeux » Nous sommes tous des enragĂ©s ! » Nous sommes tous des Juifs et des Allemands ! » Ne nous laissons pas bouffer par les politicards et leur dĂ©magogie boueuse » Non Ă LâĂtat policier ! » La barricade ferme la rue mais ouvre la voie » Laissons la peur du rouge aux bĂȘtes Ă cornes » La Sorbonne est Ă nous ! » Mur blanc = Peuple muet » La police avec nous ! » Ătes-vous des consommateurs ou des participants ? » Les murs ont des oreilles. Vos oreilles ont des murs. » MĂ©tro-boulot-dodo »Auteur Pierre BĂ©arn Faites lâamour pas la guerre !
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20 mars 2010 6 20 /03 /mars /2010 1617 Belle affluence au Forum des Images du 11 au 14 mars oĂč la manifestation Je suis une femmes pourquoi pas vous ? » a Ă©tĂ© suivie avec enthousiasme. On nous dit quâon sâest bousculĂ© Ă la soirĂ©e des Archives des luttes » le 12 et que le colloque Quand les femmes sâemparent de la camĂ©ra » le 13 a soulevĂ© de passionnantes questions. Ci-dessous, en attendant dâautres transcriptions, lâintervention de Cathy Bernheim Ă la table ronde FĂ©minisme, genre et reprĂ©sentation », Ă laquelle participaient Heike Hurst, GĂ©raldine Gourbe, Marie-HĂ©lĂšne Bourcier, Claudine Le Pallec Marand, Nicole FernĂ ndez Ferrer et Laetitia Puertas. âą Au cinĂ©ma lâArchipel, le film de Charlotte Silvera, âLouise lâinsoumiseâ nous a entraĂźnĂ©es avec tendresse et simplicitĂ© dans ces Ă©poques de lâenfance oĂč il faut dĂ©fendre lâintĂ©gritĂ© de son identitĂ© pour devenir une femme. DĂ©gagĂ© de tout maniĂ©risme, un film subtilement moderne qui se positionne dans lâhistoire du cinĂ©ma et prend le parti du fĂ©minisme, dâun bout Ă lâautre, sans concessions. Louise lâinsoumise est disponible en vidĂ©o, ainsi que deux des autres films de Charlotte Silvera, Ă lâadresse suivante Il faut dire que ce soir lĂ , Dominique Poggi nous avait ouvert les sens par le souffle de sa musique descendue dâun temps oĂč les quatre Ă©lĂ©ments jouaient avec le monde dans un jazz universel. âą A la Mairie du 20° et jusqu'au 25 mars, lâexposition des affiches du mouvement organisĂ©e par les Archives fĂ©ministes et lesbiennes est toujours visible Ă la Mairie du 20° arrondissement parisien. âą Le Festival International de Films de Femmes du 2 au 11 avril Ă la Maison des Arts de CrĂ©teil, Nous reparlerons de ce rendez-vous, incontournable depuis 1979, trĂšs prochainement et plus en dĂ©tail. Mais dĂ©jĂ le calendrier FESTIVAL INTERNATIONAL DE FILMS DE FEMMES - CRĂTEIL FESTIVAL INTERNATIONAL DE FILMS DE FEMMES - CRĂTEIL âą Intervention Ă la table ronde âFĂ©minisme, genre et reprĂ©sentationâ au Forum des Images BELLES ET REBELLES Ă PERPĂTUITĂ ? Intervention de Cathy Bernheim au colloque Quand les femmes sâemparent de la camĂ©ra » Forum des Images, Paris, 13 mars 2010 Quand jâĂ©tais petite, jâai passĂ© quelques dĂ©buts de vacances dans un HLM de la citĂ© Lamalgue Ă Toulon. Ma mĂšre mây dĂ©posait avec une dĂ©capotable qui faisait son effet au pied du bĂątiment B oĂč habitait sa sĆur aĂźnĂ©e, mĂšre de sept enfants dont trois Ă peu prĂšs de mon Ăąge vivaient encore Ă la maison. Cette arrivĂ©e avait du style elle Ă©tait trĂšs cinĂ©matographique, ma mĂšre, trĂšs cinĂ©. Elle sâĂ©tait fait un look de Lana Turner quelques annĂ©es aprĂšs ma naissance et nâavait de cesse que je lui ressemble aussi. Ce qui mâa valu quelques sĂ©ances de torture esthĂ©tique auxquelles jâai rĂ©sistĂ© vous voyez comment. Moi, celle Ă qui jâaurais voulu ressembler, câest Ava Gardner. Surtout dans La comtesse aux pieds nus », quand elle baladait ce pauvre Humphrey Bogart sous la pluie dans les ruelles de Madrid et lâabandonnait pour des petits machos dont je me demandais toujours ce quâils avaient de si attirant pour elle. JâĂ©tais jeune je ne savais pas encore. Mais je savais quâAva Gardner Ă©tait belle et je savais deux choses indiscutables. Que 1. Pour ĂȘtre belle il faut souffrir ». Et que 2. Sois belle et tais-toi ». Ma trĂšs cinĂ©matographique maman repartait dans un nuage de poussiĂšre enfin, lĂ , jâen rajoute on nâest quand mĂȘme pas dans un western. Et moi je restais lĂ , sur le balcon, soulagĂ©e de la voir partir si joyeuse, tandis quâentourĂ©e de mes cousins et cousines qui nâallaient jamais au cinĂ©ma jâallais enfin pouvoir ĂȘtre moche et dĂ©braillĂ©e. Maman adorait le cinĂ©ma. Elle Ă©tait nĂ©e dans un film de Pagnol, Ă Marseille, et mâavait mise au monde dans un film dâHollywood, sur la Riviera. Le dernier film que jâai vu en salle avec elle sâappelait Imitation of Life » Le mirage de la vie ». Je crois bien quâelle avait pleurĂ©. Moi, pas, jâĂ©tais dĂ©jĂ une dure, du haut de mes seize ans. Mais les films, aujourdâhui, je les vois comme elle, Ă©mue par les belles dames et sĂ©duite par les beaux garçons, submergĂ©e par les Ă©motions, Ă©bahie devant la beautĂ© des paysages et des visages. Oui, surtout des visages. Vous avez vu comme câest beau un visage, quand on sâapproche, quand on pose longuement son regard dessus, quand on le caresse des yeux ? Câest beau en vrai, bien sĂ»r, irrĂ©sistiblement si on prend le temps, mais câest beau sur lâĂ©cran, en grand, quand on redevient petites et petits, dans lâobscuritĂ©. Nous avons toutes et tous nos visages cinĂ©matographiques prĂ©fĂ©rĂ©s, ceux qui nous ont accompagnĂ©es Ă tous les Ăąges de nos vies, chacune et chacun les siens. Nous les avons regardĂ© changer, vieillir, rajeunir dans le dĂ©sordre des bobines, des films quâon a vus au hasard, quand ils Ă©taient programmĂ©s. Car en ce temps-lĂ , pour voir un film, il fallait attendre quâil sorte. Aujourdâhui, pour voir des belles dames et des beaux messieurs, il suffit de cliquer. Ils nous ont construit nos images, nos façons dâĂȘtre femme presque autant, plus parfois, que les femmes de nos famille. Moi, câest Ava Gardner, allez, mĂȘme dans Pandora »⊠Garbo quand elle rit dans Ninotchka », la terrible Bette Davis dans All about Eve », Joan Crawford dans Mildred Pierce ». Ou bien ce sont Ingrid Thullin et Gunnel Lindblom, sĆurs ennemies dans Le silence », Silvana Mangano dans Riz amer », Monica Vitti dans Le dĂ©sert rouge », Jeanne Moreau dans La nuit » et dans Eva » dans sa boignoire Jean Seberg quand elle vend le New York Herald Tribune et Anna Karina dans Une femme est une femme », Delphine Seyrig dans Marienbad » mais aussi dans Captain America » [NDB ânote des blogueuses Erreur de lâauteur, il sâagit de Mister Freedom »]. Et pour finir une derniĂšre image, celle du lieutenant Ripley seule dans lâespace oĂč personne ne vous entend crier. Mais lĂ , ce nâĂ©tait pas le visage de Sigourney Weaver qui me fascinait, câĂ©tait le dĂ©bardeur. Le monde venait de changer, et moi avec. Oui, dâaccord, ce nâest pas lâobjet de ce dĂ©bat. Ni le sujet. De quoi faut-il que je vous parle, dĂ©jĂ ? FĂ©minisme, genre et reprĂ©sentation » tout un programme. En 1981, peu de temps avant que je ne dĂ©laisse pour une trentaine dâannĂ©es le mouvement des femmes une parenthĂšse crĂ©atrice, en quelque sorte, jâai participĂ© Ă une commission prĂ©sidĂ©e par Anne Zelensky, chargĂ©e par Yvette Roudy de dresser un bilan de la France au fĂ©minin. Il mâavait Ă©tĂ© demandĂ© dâexaminer de prĂšs lâimage des femmes ». Ce que jâai fait avec passion tellement jâĂ©tais scandalisĂ©e, et depuis longtemps, par ce que la sociĂ©tĂ© des hommes, qui sâexprimait sans freins, imposait aux femmes comme images dâelles-mĂȘmes. Nous venions, depuis quelques annĂ©es, dâen Ă©pingler quelques Ă©chantillons dans le rubrique du Sexisme ordinaire des Temps Modernes, Ă laquelle nous travaillions avec Simone de Beauvoir. Comme jâaimais le cinĂ©ma, jâavais pris lâhabitude dâĂ©valuer les rĂŽles quâon rĂ©servait aux femmes dans les films dâHollywood ou dâailleurs qui dĂ©ferlaient sur nos Ă©crans. Et quand cette rubrique collective sâest arrĂȘtĂ©e, jâai continuĂ© un moment seule dans les Temps Modernes, Ă raconter Ă Simone de Beauvoir âet Ă elle seule- dâhorribles films dâhorreur qui devenaient chaque annĂ©e de plus en plus sanglants, mais oĂč, enfin, les femmes commençaient Ă prendre leur revanche. Depuis ce temps, jâai calculĂ© que jâai dĂ» voir une dizaine de milliers de films pour des raisons professionnelles, ce qui signifie Ă peu prĂšs un million de minutes, soit 16 666 heures de projection. VoilĂ le genre de calcul idiot que jâadore faire⊠Aujourdâhui que les femmes dĂ©pĂšcent, trucident et Ă©parpillent les hommes Ă grands renforts dâeffets spĂ©ciaux, et sâen prennent plein la gueule en retour, je me dis quâau moins câest clair, la guerre des sexes a bien lieu. Et mĂȘme si ce nâest pas nous qui lâavons commencĂ©e, quâil est temps de rĂ©flĂ©chir ensemble Ă la façon dont nous pourrons apprendre aux enfants des deux genres Ă sâaimer en paix. Cela passe par les images. Mais pas celles du vieux cinĂ©ma, de ce cinĂ©ma qui faisait rĂȘver mon enfance. Cela passe en fait par ce qui les produit, le regard et lâimagination de ceux qui les produisent. Maintenant, je vais vous lire une liste celle des femmes qui ont sorti des films en France ces trois derniĂšres annĂ©es. Il y en a environ 250. Sur un total dâenviron 2000 films sortis sur les Ă©crans français Ă la mĂȘme pĂ©riode, vous calculerez quel pourcentage cela fait. [Elle lit la liste, et prĂ©cise au milieu de sa lecture ] Ce nâest pas la liste des victimes du dernier crash dâavion que je suis en train de vous lire là ⊠[Et ajoute Ă la fin de la liste] VoilĂ . Ce sont les femmes qui ont signĂ© des films ces trois derniĂšres annĂ©es sur nos Ă©crans. Câest pour vous dire soutenez-les, allez les voir. âą Et pour finir, encore une camĂ©ra, celle de Joss. Avec un grand merci pour toutes ses images "d'aujourd'hui", enregistrĂ©es et diffusĂ©es sur les ondes, et qui nous accompagnentâŠDeplus, les jeunes disent ne pas avoir le droit Ă la parole, ainsi, on trouve des affiches reprĂ©sentant De Gaulle fermant la bouche Ă un jeune garçon avec un slogan « sois Le Monde 2 Le 22 mars [1998], Me LeliĂšvre dispersait Ă Chartres une collection de quelque 150 affiches originales nĂ©es en mai 68 Ă l'Ecole des beaux-arts. Le 22 mars [1998], Me LeliĂšvre dispersait Ă Chartres une collection de quelque 150 affiches originales nĂ©es en mai 68 Ă l'Ecole des beaux-arts. Trente ans plus tard, les slogans-chocs d'un printemps chaud ressurgissent en vente publique, mais les prix restent encore dĂ©mocratiques. Les nostalgiques et les curieux qui auraient manquĂ© la dispersion de Chartres pourront se rendre Ă Drouot le 29 avril une autre vente d'affiches de Mai y sera organisĂ©e. L'anniversaire Ă©tait donc cĂ©lĂ©brĂ© en avant-premiĂšre Ă Chartres Me LeliĂšvre dispersait le 22 mars une collection d'affiches originales illustrant au jour le jour les Ă©vĂ©nements de Mai. Le hasard fait parfois bien les choses, la date choisie tombait Ă pic. C'est en effet le 22 mars 1968 qu'un petit groupe d'Ă©tudiants, menĂ© par Daniel Cohn-Bendit, commence Ă faire parler de lui dans " Nanterre-la-folle ". L'amorce d'un printemps chaud, oĂč il devient tout-Ă -coup urgent de " changer la vie " et d'imaginer " Sous les pavĂ©s, la plage ! ". Les quelque 150 affiches originales mises en vente provenaient de " l'Atelier populaire de l'ex-Ecole des beaux-arts ", selon la terminologie en vigueur Ă l'Ă©poque. L'ensemble constituait la collection d'un ancien acteur des Ă©vĂ©nements. Celui-ci, chargĂ© de collecter les affiches aux Beaux-Arts et de les distribuer dans les comitĂ©s, avait gardĂ© ses prĂ©fĂ©rĂ©es, faisant ainsi office de conservateur. Ces piĂšces n'avaient donc jamais Ă©tĂ© collĂ©es. Ce qui explique qu'elles soient restĂ©es en bon Ă©tat. Un point important, car ces affiches de Mai sont particuliĂšrement fragiles. Presque toujours tirĂ©es en sĂ©rigraphie, procĂ©dĂ© peu coĂ»teux, sur des supports de qualitĂ© mĂ©diocre, elles n'avaient Ă l'Ă©vidence guĂšre Ă©tĂ© conçues pour durer. Cette Ă©conomie de moyens s'accorde tout-Ă -fait avec le cĂŽtĂ© brut des slogans-chocs, relevĂ©s d'images coups de poing traitĂ©es en aplats de couleurs vives. L'actualitĂ© y est rĂ©sumĂ©e Ă chaud, sans recul ni subtilitĂ©s hors de saison. Agressif, le graphisme va Ă l'essentiel. Ainsi, " La police s'affiche aux Beaux-Arts, les Beaux-Arts affichent dans la rue ", proclame l'Atelier populaire sur une sĂ©rigraphie envahie d'une monstrueuse tĂȘte de CRS armĂ©e d'un pinceau entre les dents 3 600 francs. Si quelques-unes de ces affiches paraissent avoir assez mal vieilli, d'autres, en revanche, frappent par leur caractĂšre prĂ©monitoire. Comme celles traitant du chĂŽmage. L'une d'elles reprĂ©sente un nourrisson serrĂ© dans ses langes, avec cette question " Sera-t-il chĂŽmeur ? " 750 francs. " CHIENLIT " Parmi les cibles prĂ©fĂ©rĂ©es des affichistes de Mai, le gĂ©nĂ©ral de Gaulle figure en bonne place. BrossĂ©e de façon grand nez, kĂ©pi, oreilles dĂ©mesurĂ©es, sa silhouette caractĂ©ristique se trouve accommodĂ©e Ă toutes les sauces. " Sois jeune et tais-toi ", Ă©nonce l'une de ces affiches. De Gaulle, de profil en ombre chinoise, massif, immense, pose sa main devant la bouche d'un jeune homme 2 100 francs. Encore et toujours le GenĂ©ral, silhouette Ă la place de la croix de Lorraine, sur une sĂ©rigraphie titrĂ©e " Renversons sa dictature " 400 francs, ou reprĂ©sentĂ© de profil les bras levĂ©s, avec ce commentaire sans appel " La chienlit, c'est lui ! " 600 francs. D'autres lĂ©gendes sonnent de façon autrement inquiĂ©tante. Comme celle qui assimile de Gaulle Ă Hitler. Le dessin, rĂ©solument expressionniste, en rĂ©fĂ©rence aux annĂ©es 30, montre six tĂȘtes de rĂ©actionnaires, en rouge sur fond blanc, surmontĂ©es de ce credo cinglant " Notre seul espoir Hitler barrĂ© De Gaulle " 2 000 francs. MĂȘme esprit pour " Parti unique. Dictature ", qui comporte le sigle gaulliste dans lequel s'inscrit la croix gammĂ©e 400 francs. La presse n'est pas non plus en odeur de saintetĂ©. Citons notamment " Les rĂ©dactions Ă dĂ©sinfecter " 1 600 francs ; " La police Ă l'ORTF c'est la police chez vous ", avec les anneaux du sigle de l'ORTF hĂ©rissĂ©s de fil de fer barbelĂ© 1 100 francs, ou encore " Le rĂ©gime compresse, la presse complice ", reprĂ©sentant un personnage Ă©crasĂ© sous une presse. Cette derniĂšre sĂ©rigraphie, attribuĂ©e Ă l'Ecole supĂ©rieure d'architecture, fait ressortir de façon appuyĂ©e les doubles " s " des mots " compresse " et " presse " 850 francs. TraitĂ©es de façon tout aussi fĂ©roce, les Ă©lections de juin 68 ont inspirĂ© quelques images fortes. Exemple " Voter, c'est mourir un peu ". L'urne a pris la forme d'un cercueil, marquĂ© d'une croix de Lorraine 1 100 francs. MĂȘme veine pour " AdhĂ©rez au parti de la trouille " l'injonction s'accompagne d'un dessin tremblotant de la croix de Lorraine, inscrite dans un " V " tracĂ© d'une main tout aussi peureuse 450 francs. AprĂšs cette flambĂ©e porteuse d'espoirs, le retour au calme qui s'amorce n'est pas vraiment du goĂ»t des activistes de Mai. Des affiches plus tardives illustrent ces lendemains dĂ©chantĂ©s. Ainsi, " 14 juillet 68, la France embastillĂ©e " dĂ©crit un Hexagone embarbelĂ©, occupĂ© par un Ă©norme CRS casquĂ©, menaçant, matraque au poing, sur fond de lampions dĂ©risoires 1 200 francs. TrĂšs rĂ©ussie graphiquement, une autre sĂ©rigraphie met en scĂšne un vaste troupeau de moutons, pressĂ©s les uns contre les autres, en foule, avec ce long commentaire en forme de conclusion dĂ©sabusĂ©e " Retour Ă la normale. Que se passe-t-il ? Il ne se passe rien. Que s'est-il passĂ© ? Il ne s'est rien passĂ©. Pourtant... j'avais cru comprendre. Il ne faut pas comprendre " 3 000 francs. En fin de compte, presque toutes ces affiches ont trouvĂ© preneur dans la fourchette des estimations. Raisonnables, celles-ci s'Ă©chelonnaient entre 200 francs et 2 000 francs. La plus haute enchĂšre 6 300 francs allait au trop fameux " CRS SS ". NoĂ«lle Joly Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil Ă la fois Ce message sâaffichera sur lâautre appareil. DĂ©couvrir les offres multicomptes Parce quâune autre personne ou vous est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil. Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil Ă la fois ordinateur, tĂ©lĂ©phone ou tablette. 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Cette lecture analytique sâadresse Ă mes classes de PremiĂšre, mais elle intĂ©ressera bien Ă©videmment les Ă©tudiantes et les Ă©tudiants travaillant sur les Ă©tudes fĂ©ministes et lâĂ©criture au fĂ©minin. Il faut que la femme sâĂ©crive que la femme Ă©crive de la femme et fasse venir les femmes Ă lâĂ©criture, dont elles ont Ă©tĂ© Ă©loignĂ©es aussi violemment quâelles lâont Ă©tĂ© de leurs corps pour les mĂȘmes raisons, par la mĂȘme loi, dans le mĂȘme but mortel. Il faut que la femme se mette en texte â comme au monde, et Ă lâhistoire â de son propre mouvement. » HĂ©lĂšne Cixous, Le rire de la mĂ©duse » LâArc, n° 61 Simone de Beauvoir et la lutte des femmes », 1975, p. 39. INTRODUCTION Câ est dans la mouvance des mouvements fĂ©ministes des annĂ©es 1970 quâAnnie Leclerc 1940-2006, Ă©crivaine et professeure de philosophie, livre au grand public cet ouvrage audacieux et provocateur, qui fit scandale lors de sa parution Parole de femme. Dans cet essai Ă la fois philosophique et poĂ©tique, lâauteure exalte un fĂ©minisme nouveau, qui revendique haut et fort une identitĂ© fĂ©minine » quâil faut dĂ©finir ou construire. Ă la diffĂ©rence du fĂ©minisme Ă©galitariste par exemple qui sâen tient Ă des revendications dâĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes, ce courant du fĂ©minisme est appelĂ© diffĂ©rentialiste car il cĂ©lĂšbre dans la femme la prise de conscience de sa fĂ©minitĂ© et de sa diffĂ©rence comme remĂšde premier Ă lâimpĂ©rialisme culturel des hommes et aux systĂšmes de valeur qui imprĂšgnent la culture patriarcale »Âč. Ce que propose Annie Leclerc dans ce trĂšs beau texte militant nâest autre quâun renouvellement des savoirs, qui passe par lâaffirmation du fĂ©minin, et donc dâune identitĂ© sexuelle. Comme elle lâĂ©crit plus loin dans le livre, il faut que les femmes se constituent des territoires propres, donnant lieu Ă lâĂ©mergence de savoirs et de pouvoirs particuliers ». Tout lâessai dâAnnie Leclerc, et particuliĂšrement ce texte, est en effet traversĂ© par la problĂ©matique fondamentale de lâappropriation par les femmes du savoir et la mise en Ă©vidence de lâĂ©criture fĂ©minine valorisant Ă la fois la conscience de soi en tant que femme, et une nouvelle approche des rapports de pouvoir. PLAN 1. Un texte polĂ©mique et engagĂ© A/ LâĂ©nonciation du texte le je » dominant B/ Un blĂąme contre les hommes 2. Le fĂ©minisme dâAnnie Leclerc une double conquĂȘte de lâidentitĂ© et de lâĂ©criture A/ Le refus des universalismes B/ La nĂ©cessitĂ© dâune prise de conscience parole et identitĂ© fĂ©minine 3. La dimension lyrique et poĂ©tique du texte A/ Une revendication qui passe par le langage poĂ©tique B/ Un hymne Ă la vie lâarticulation de lâĂ©criture avec la revendication du corps fĂ©minin Conclusion â 1 UN TEXTE POLĂMIQUE ET ENGAGĂ A/ Un texte qui sâinscrit dans lâĂ©nonciation du discours Si la revendication par les femmes dâune parole militante, tout comme lâexpression de revendications concernant lâĂ©galitĂ©, est loin dâĂȘtre un phĂ©nomĂšne rĂ©cent âon peut Ă©voquer tout Ă fait arbitrairement Christine de Pisan 1364â1430, Olympe de Gouges 1745â1793 George Sand 1804-1876 ou Colette 1873-1954â câest dans les annĂ©es 1970 sous la pression des mouvements nĂ©o-fĂ©ministes et des revendications de Mai 68, que la parole Ă©crite sâaccompagne dâune parole parlĂ©e » amenant Ă un basculement des valeurs les femmes revendiquent le droit Ă une parole diffĂ©rente de celle des hommes, perçue comme un instrument de transmission de lâaliĂ©nation fĂ©minine. En ce sens, le texte dâAnnie Leclerc fait prĂ©valoir un fĂ©minisme de la diffĂ©rence ou diffĂ©rentialiste selon elle, le problĂšme tient au fait que le rĂ©fĂ©rentiel du fĂ©minisme est essentiellement masculin, ce qui explique que lâĂ©galitarisme ait Ă©tĂ© largement dominant. En opposition Ă cette masculinisation fĂ©minine », câest au contraire en tant que femme assumant son identitĂ© et sa diffĂ©rence, câest-Ă -dire assumant la responsabilitĂ© de ce quâelle affirme Ă travers lâemploi de la premiĂšre personne quâAnnie Leclerc prend la parole. Les indices dâĂ©nonciation On appelle indices dâĂ©nonciation les marques spĂ©cifiques permettant de dĂ©terminer qui parle, Ă qui sâadresse le texte, dans quelles circonstances il a Ă©tĂ© produit. En premier lieu, il convient de sâinterroger sur lâĂ©nonciation, câest-Ă -dire sur la façon dont est produit lâĂ©noncĂ©. Dans le passage, nous voyons que lâĂ©nonciateur est trĂšs prĂ©sent dans son Ă©noncĂ© Annie Leclerc prend parti pour une thĂšse et manifeste clairement son implication et sa position dans le discours. La position de lâĂ©nonciation dans cet extrait, de mĂȘme que dans tout lâessai, est explicitement fĂ©minine câest donc dans la perspective du discours fĂ©minin quâil faut apprĂ©hender le texte. Cette affirmation de la conscience de soi passe en effet par lâaffirmation dâune identitĂ© de genre pour Annie Leclerc, la femme doit sâaffirmer comme sujet. Cette approche ne vise pas lâinclusion des femmes dans un discours et un systĂšme dominants mais lâexpĂ©rimentation par les femmes dâune nouvelle parole » sâinscrivant dans un langage propre Mais pas de femme comme il est dit dans la parole de lâhomme » lignes 5-6. Prendre la parole pour Annie Leclerc, câest ainsi trouver sa place dans ce qui dĂ©termine lâĂ©nonciation en affirmant son moi, et câest assumer ce que la parole impose lâabondance des indices personnels, Ă commencer par le pronom je » qui parcourt tout le texte, mais aussi le pronom nous » Nous avons fait les enfants, et eux, ils ont fait lâHomme », ligne 22, permet de mettre en Ă©vidence la nĂ©cessaire Ă©mancipation des femmes face au monde des hommes Rien nâexiste qui ne soit le fait de lâhomme, ni pensĂ©e, ni parole, ni mot. Rien nâexiste encore qui ne soit le fait de lâhomme ; pas mĂȘme moi, surtout pas moi. lignes 1-2 ĂnoncĂ©e comme une opinion gĂ©nĂ©rale structurĂ©e autour de lâadverbe rien », cette phrase est posĂ©e pour vĂ©ritĂ© Rien nâexiste qui ne soit le fait de lâhomme ». La tonalitĂ© didactique et lâĂ©nonciation volontairement impersonnelle du dĂ©but permettent de formuler sur un ton qui semble objectif câest un fait que rien nâexiste » une critique acerbe contre les hommes. Les indices de la personne comme le pronom personnel moi renforcent dans la suite de la phrase la prĂ©sence de lâauteure dans son Ă©noncĂ© pas mĂȘme moi, surtout pas moi ». InfĂ©odĂ©e Ă un code sexuel, pervertie par les rĂ©fĂ©rents imposĂ©s du pouvoir masculin, la parole des femmes est paradoxalement le produit de cette soumission mĂȘme Rien nâexiste encore qui ne soit le fait de lâhomme ; pas mĂȘme moi ». Elle doit donc sâen libĂ©rer afin dâ inventer une parole de femme », câest-Ă -dire une Ă©criture de la diffĂ©rence qui passe par la perspective dâune transformation des rapports de savoir et des rapports de pouvoir permettant au discours fĂ©minin de sâautonomiser sous forme de littĂ©rature et de devenir ainsi une parole de femme. Il sâagit bien dâun positionnement dans lâargumentation, oĂč lâauteure se situe dans lâici et le maintenant de son Ă©nonciation discours direct prĂ©sent de lâindicatif comme temps pivot, premiĂšre personne du singulier en se confrontant avec les hommes Inventer une parole de femme. Mais pas de femme comme il est dit dans la parole de lâhomme ; car celle-lĂ peut bien se fĂącher, elle rĂ©pĂšte. Toute femme qui veut tenir un discours qui lui soit propre ne peut se dĂ©rober Ă cette urgence extraordinaire inventer la femme. Câest une folie, jâen conviens. Mais câest la seule raison qui me reste. lignes 5-8 Afin de dĂ©velopper son argumentation et notamment sa critique des savoirs constituĂ©s totalisants, lâauteure produit un discours pamphlĂ©taire qui met en avant une stratĂ©gie dâopposition pour se constituer dans un rapport dâaltĂ©ritĂ© Ă la culture dominante des hommes Je me dis » â il est dit », ils ont dit » Nous avons fait » â et eux », ils ont fait » Cette relation de confrontation entre un discours masculin qui se prĂ©tend comme lĂ©gitime et dominant il est dit que », et un discours fĂ©minin, met en Ă©vidence le point de vue des hommes qui sous couvert dâuniversel et de neutralitĂ©, dissimule en fait une profonde discrimination Ils ont dit que la vĂ©ritĂ© nâavait pas de sexe. Ils ont dit que lâart, la science et la philosophie Ă©taient vĂ©ritĂ©s pour tous » le point de vue du ils » renforcĂ© par le passĂ© composĂ© valeur dâaccompli du passĂ© et les tournures anaphoriques a pour fonction modalisante dâinstaller la parole des hommes dans une logique circulaire et rĂ©pĂ©titive coupĂ©e de la rĂ©alitĂ© du monde la parole de lâhomme [âŠ] peut bien se fĂącher, elle rĂ©pĂšte » lignes 5-6 notez le lexique dĂ©valorisant. Nous aurions pu aussi Ă©tudier la tournure impersonnelle il est dit » dont lâaspect trĂšs dogmatique prend la forme dâune rĂšgle arbitraire imposĂ©e Ă tous. Alors quâune parole de femme est engagĂ©e dans le rĂ©el manger », boire », regarder le jour », porter la nuit », lignes 36-37, les paroles des hommes ont lâair de se faire la guerre » ligne 16 selon une logique rĂ©pĂ©titive, uniformisante et mortifĂšre. Ces considĂ©rations amĂšnent Ă©galement Ă sâintĂ©resser aux nombreux Ă©lĂ©ments qui marquent subjectivement lâĂ©noncĂ© et qui par consĂ©quent indiquent clairement au lecteur les directions argumentatives formulĂ©es. DerriĂšre cette opposition que nous notions entre le je/moi » et le ils/eux », se met en place un schĂ©ma dualiste amenant Ă une nĂ©cessaire prise de conscience de soi par la recherche assumĂ©e dâune Ă©criture-femme qui cherche Ă se dĂ©gager des stĂ©rĂ©otypes ce nâest donc pas lâĂ©galitĂ© homme/femme qui est mise en avant mais la nĂ©cessitĂ© dâinventer une parole de femme. On sait que, traditionnellement, les femmes nâavaient pas droit Ă la parole, lâhomme Ă©tant lâautoritĂ© Ă©nonciative lĂ©gitime. Cette rĂ©alitĂ© de la femme silencieuse, dĂ©possĂ©dĂ©e de son identitĂ©, ayant pour tĂąche de prendre sur elle les soucis matĂ©riels afin de servir les prĂ©occupations intellectuelles de lâhomme est rappelĂ© plusieurs fois dans le texte Ces plus fortes voix sont aussi celles qui mâont le plus rĂ©duite au silence. Ce sont ces superbes parleurs qui mieux que tout autre mâont forcĂ©e Ă me taire. lignes 12-13 Nous avons fait les enfants, et eux, ils ont fait lâHomme. ligne. 22 Les tournures impersonnelles au prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale Rien nâexiste⊠», Les choses de lâhomme ne sont pas seulement⊠Elles sont⊠» permettent dâagir sur le lecteur la notion dâargumentation suppose en effet lâaction dâun Ă©nonciateur sur un auditoire, qui vise Ă modifier ses convictions et Ă gagner son adhĂ©sion. Lâargumentation cherche Ă agir sur le destinataire en modifiant ses convictions ou ses prĂ©jugĂ©s thĂšse rĂ©futĂ©e, par un discours qui lui est adressĂ©, et qui vise Ă le faire adhĂ©rer Ă la thĂšse avancĂ©e. Dans cette perspective, lâĂ©tude de lâargumentation doit prendre en compte les stratĂ©gies de persuasion du texte, câest-Ă -dire la maniĂšre dont lâauteure nous induit Ă accepter sa thĂšse donner Ă la parole de femme » son statut de parole autonome, raisonnĂ©e, en la situant hors du champ de la rhĂ©torique et de la dialectique masculines. Ce qui est marquant dans le passage, câest lâĂ©nonciation rhĂ©torique les choix stylistiques, souvent dâordre Ă©valuatif, permettent comme nous le verrons, de situer le discours de la femme par rapport Ă des valeurs affectives fortes. Câest ainsi que le discours masculin, prĂ©tendument universaliste, inclusif et objectif, est montrĂ© comme cherchant Ă gommer toute trace de lâĂ©nonciation fĂ©minine Ce sont ces superbes parleurs qui mieux que tout autre mâont forcĂ©e Ă me taire. lignes 12-13 Par opposition, le discours subjectif dans lequel Annie Leclerc se situe explicitement Câest une folie, jâen conviens. Mais câest la seule raison qui me reste. » ligne 8 ou se pose implicitement Les hommes ont la parole. » passe par de nombreux jugements de valeur et un fort engagement Ă©motionnel Je nâai pas oubliĂ© le nom des grands parleurs. Platon et Aristote et Montaigne, et Marx et Freud et Nietzsche⊠Je les connais pour avoir vĂ©cu parmi eux et seulement parmi eux. Ces plus fortes voix sont aussi celles qui mâont le plus rĂ©duite au silence. lignes 10-12 La fonction dite Ă©motive ou expressive du langage, qui met lâaccent sur le locuteur, vise ainsi Ă une expression directe caractĂ©risĂ©e par lâintentionnalitĂ© le jugement de lâauteure transparaĂźt en effet dans lâĂ©nonciation par lâemploi des indices de jugement. Sans surprise, le lexique dĂ©prĂ©ciatif concerne les hommes. Ainsi, le vocabulaire affectif traduit la subjectivitĂ© par lâĂ©motion et les sentiments manifestĂ©s Les choses de lâhomme ne sont pas seulement bĂȘtes, mensongĂšres et oppressives. Elles sont tristes surtout, tristes Ă en mourir dâennui et de dĂ©sespoir. lignes 3-4 De mĂȘme, le recours Ă lâironie, utilisĂ©e comme procĂ©dĂ© rhĂ©torique, permet dâentraĂźner la complicitĂ© du lecteur Qui parle dans les gros livres sages des bibliothĂšques ? ligne 14 Une honnĂȘte femme ne saurait ĂȘtre un honnĂȘte homme. Une grande femme ne saurait ĂȘtre un grand homme, la grandeur est chez elle affaire de centimĂštres. lignes 19-20 Enfin, la modalitĂ© interrogative qui parcourt tout le texte met particuliĂšrement en valeur les questions rhĂ©toriques. Loin dâĂȘtre une demande dâinformation, ces interrogations comme le suggĂšre leur formulation mĂȘme, nâattendent pas de rĂ©ponse, ce qui accentue plus encore la vĂ©racitĂ© des faits dĂ©noncĂ©s Qui parle ici ? ligne 9 Qui a jamais parlĂ© ? ligne 9 Qui parle dans les gros livres ? ligne 14 Pourquoi la VĂ©ritĂ© sortirait-elle de la bouche des hommes ? lignes 29-30 Ces questions, associĂ©es frĂ©quemment Ă des procĂ©dĂ©s dâamplification et de gradation anaphores rhĂ©toriques, montrent un trĂšs net engagement Ă©motionnel de lâauteure et permettent dâinterpeller le lecteur, de lâimpliquer et de le responsabiliser. _ B/ Un blĂąme contre les hommes En accentuant la disposition Ă lâaction et Ă lâengagement, le texte dâAnnie Leclerc cherche Ă renforcer lâadhĂ©sion des lecteurs aux valeurs quâelle exalte. Ainsi le discours Ă©pidictique, combinĂ© aux procĂ©dĂ©s oratoires et rhĂ©toriques, est-il largement dominant. Le discours Ă©pidictique AppelĂ© Ă©galement discours dĂ©monstratif, le discours Ă©pidictique fait lâĂ©loge ou le blĂąme dâune personne ou dâune idĂ©e. Il se propose dâentraĂźner lâadhĂ©sion de lâauditoire aux valeurs quâil exalte en combinant les moyens de lâart oratoire, notamment lâamplification, et la rigueur de lâargumentation dĂ©monstrative. Mais pour faire lâĂ©loge dâune parole de femme, encore faut-il montrer les insuffisances de la parole des hommes. Annie Leclerc leur reproche tout dâabord de produire de lâexclusion. Le sexisme sâaffiche ainsi Ă tous les niveaux, Ă commencer par la culture. En dĂ©pit de la volontĂ© affichĂ©e dâuniversalitĂ©, lâassignation sociale des femmes Ă la sphĂšre privĂ©e Nous avons fait les enfants, et eux, ils ont fait lâHomme » alimente la logique dâhomologation des contenus enseignĂ©s Ă une norme masculine faisant largement consensus Qui parle ici ? Qui a jamais parlĂ© ? Assourdissant tumulte des grandes voix ; pas une nâest de femme. Je nâai pas oubliĂ© le nom des grands parleurs. Platon et Aristote et Montaigne, et Marx et Freud et Nietzsche⊠Je les connais pour avoir vĂ©cu parmi eux et seulement parmi eux. lignes 9-12 En outre, lâidĂ©e selon laquelle les hommes doivent ĂȘtre plus reprĂ©sentĂ©s entretient un rapport de domination et apparente la sous-reprĂ©sentation des femmes Ă une certaine idĂ©e de la norme fĂ©miniser les savoirs enseignĂ©s reviendrait en premier lieu Ă ĂŽter tout fondement Ă la tradition des savoirs enseignĂ©s et aux stĂ©rĂ©otypes culturels en les rendant discutables. OubliĂ©es comme sujet, les femmes sont dĂšs lors rĂ©duites Ă une identitĂ© assignĂ©e dâobjet selon une logique discriminante qui prouve la difficultĂ© de la sociĂ©tĂ© Ă penser lâuniversel en incluant les femmes. Face au relativisme culturel, les hommes reprĂ©sentent ainsi lâuniversalisme du savoir. Par ailleurs, en associant le fĂ©minin au mal mâont forcĂ©e Ă me taire » ; Une honnĂȘte femme ne saurait ĂȘtre un honnĂȘte homme. Une grande femme ne saurait ĂȘtre un grand homme », le discours masculin pratique une forme de sĂ©grĂ©gation action de sĂ©parer un groupe social des autres en le traitant plus mal. Ainsi, les femmes nâont-elles pas accĂšs aux lieux de pouvoir Qui parle dans les gros livres sages des bibliothĂšques ? Qui parle au Capitole ? Qui parle au temple ? Qui parle Ă la tribune et qui parle dans les lois ? lignes 14-15 Annie Leclerc sâen prend en effet trĂšs violemment Ă la misogynie, comme en tĂ©moigne ce chiasme Figure de style qui consiste Ă placer deux groupes de mots dans un ordre inversĂ© Le monde est la parole de lâhomme. Lâhomme est la parole du monde » ligne 18, condamnation sans appel qui fait presque de la parole masculine lâĂ©quivalent dâune parole divine omnipotente, inique puisquâelle rĂ©duit les femmes au silence. Lâutilisation du prĂ©sent de gĂ©nĂ©ralitĂ© est Ă©videmment importante ici selon Annie Leclerc, le monde est bien la parole des hommes, depuis les origines de la Civilisation. Lâauteure veut montrer par lĂ que les hommes se sont presque arrogĂ©s la parole divine, ce qui explique la suite des comparaisons quâil sâagisse du Capitole, qui est une allusion Ă lâantiquitĂ© romaine, de la Tribune qui fait rĂ©fĂ©rence au monde politique, ou du Temple, condamnation sans appel des dogmes religieux, les hommes ont toujours monopolisĂ© lâespace de parole. Ainsi, la misogynie est prĂ©sente partout, et de tout temps, aussi bien dans lâunivers sacrĂ© et religieux, que dans lâunivers profane. â 2 LE FĂMINISME DâANNIE LECLERC une double conquĂȘte de lâidentitĂ© et de lâĂ©criture A/ Le refus des universalismes P our Annie Leclerc, lâenjeu de la sexualitĂ© masculine a Ă©tĂ© trop souvent de dominer la femme, non par nature, mais culturellement. Ce constat, influencĂ© par Simone de Beauvoir Le DeuxiĂšme sexe, 1949 et par lâĆuvre de lâĂ©crivaine fĂ©ministe amĂ©ricaine Kate Millett Sexual Politics, 1970 ; La Politique du mĂąle, 1971 implique lâidĂ©e de lâidentitĂ© sexuelle, non comme fondement biologique, mais comme construction socioculturelle ainsi lâhomme, en tant que sujet », a de tout temps maintenu la femme dans une position de subordination selon la raison du plus fort », faisant dâelle un objet » incapable dâassumer sa libertĂ© Nous avons fait les enfants, et eux, ils ont fait lâHomme. Ils ont fait naĂźtre lâuniversel du particulier. Et lâuniversel a portĂ© le visage du particulier. LâuniversalitĂ© fut dĂ©sormais leur tour favori. Le dĂ©cret parut lĂ©gitime et la loi parut bonne une parole pour tous. [âŠ] Le tout toujours garanti, estampillĂ© Universel. » lignes 22-24 ; 28 Contre cet universalisme, la position dâAnnie Leclerc est que les femmes doivent revendiquer le droit de parler et celui dâĂ©crire dâune maniĂšre spĂ©cifique, qui Ă©chappe Ă lâuniversel de fait, lâuniversalisme nâest en fait quâun particularisme gĂ©nĂ©ralisĂ© Et lâuniversel a portĂ© le visage du particulier. ». La femme doit donc trouver sa voie, mais aussi sa voix » en crĂ©ant un espace de parole ouvrant de nouveaux espaces de signification et de sens. Cela ne va pas [âŠ] de pair avec un afflux de paroles » ces superbes parleurs » ; Assourdissant tumulte des grandes voix » , mais peut au contraire sâaccommoder dâune forme de retenue »ÂČ valorisant la franchise et la sincĂ©ritĂ© La vĂ©ritĂ© » nâexiste que parce quâelle opprime et rĂ©duit au silence ceux qui nâont pas la parole. Non, non je ne demande pas lâaccĂšs Ă la vĂ©ritĂ© sachant ĂŽ combien câest un puissant mensonge inventĂ© par lâhomme. Je ne me donne que la parole, plus sincĂšre, plus honnĂȘte. passage non citĂ© dans le texte Ă©tudiĂ© Un aspect essentiel du fĂ©minisme diffĂ©rentialiste est prĂ©cisĂ©ment la dĂ©nonciation de lâuniversalisme masculin, Ă la base de stĂ©rĂ©otypes sexistes sans fondement rationnel Ils ont dit que la vĂ©ritĂ© nâavait pas de sexe. Ils ont dit que lâart, la science et la philosophie Ă©taient vĂ©ritĂ©s pour tous. [âŠ] Pourquoi la VĂ©ritĂ© sortirait-elle de la bouche des hommes ? » lignes 28-30 Cette stĂ©rĂ©otypisation des contenus enseignĂ©s est donc pour Annie Leclerc une rĂ©gression de la sociĂ©tĂ© elle conduit Ă lâimpermĂ©abilitĂ©, Ă lâuniformitĂ©, Ă la stagnation du savoir. Bien plus, cette exclusion des femmes du champ de la visibilitĂ© culturelle lĂ©gitime lâenseignement et la transmission de savoirs figĂ©s Platon et Aristote et Montaigne, et Marx et Freud et Nietzsche » et sert implicitement de justification Ă tous les discours misogynes. La sous-reprĂ©sentation des femmes dans les contenus enseignĂ©s est dâabord le problĂšme dâune sociĂ©tĂ© qui refuse, au nom de lâuniversalisme Ă©galitaire, le respect des diffĂ©rences paradoxalement, la violence de genre est favorisĂ©e par lâinstitution qui, en vĂ©hiculant une certaine idĂ©e de la norme, contribue Ă figer des modĂšles de comportement rĂ©sultant de processus de socialisation discriminatoires. Plus largement, lâidĂ©al civilisationnel issu des LumiĂšres Universalisme, intĂ©gration des cultures, assimilation, entraĂźne le refus du mĂ©tissage culturel, au nom dâune norme assimilationniste et universaliste Le monde entier, Blancs, Noirs, Jeunes, femmes et enfants, fut nourri, gavĂ©, de son produit de base, la vĂ©ritĂ© et ses sous-produits, Ăąme, raison, valeurs⊠Le tout toujours garanti, estampillĂ© Universel. lignes 26-28 Dans ce passage, le refus des particularismes ethniques Le monde entier, Blancs, Noirs, Jeunes, femmes et enfants » relĂšve de la mĂȘme logique que le refus dâadmettre une parole de femme », Ă savoir lâinclusion du singulier non dans la pluralitĂ©, mais dans son unicitĂ© discriminante, garante de la raison universelle » Le tout toujours garanti, estampillĂ© Universel ». Toute la question pour Annie Leclerc est de se demander si les hommes prennent vraiment en compte la communication vĂ©ritable, la parole rĂ©elle ? En ce sens, comme nous le verrons dans notre troisiĂšme partie, guider vers la vĂ©ritĂ© ne relĂšve-t-il pas davantage dâun cheminement intĂ©rieur, dâun travail de rĂ©flexion et de questionnement, que de lâimposition dâune parole aussi unique quâimperturbable ? De fait, aveuglĂ©s par leur idĂ©al dâuniversalitĂ©, par lâidĂ©ologie de la performance, du tout communiquant », dâune parole sans limites et omnipotente [qui a le caractĂšre de la toute-puissance], les hommes ont oubliĂ© le sens de lâĂ©change vĂ©ritable. Ainsi utilisent-t-ils bien souvent le discours Ă vide. Or, parler juste pour parler dans les gros livres sages des bibliothĂšques », au Capitole », au temple », Ă la tribune », ou dans les lois » lignes 14-15, nâest-ce pas passer Ă cĂŽtĂ© de lâessentiel nous amener Ă un vĂ©ritable enseignement, nous faire rĂ©flĂ©chir Ă la vie en gĂ©nĂ©ral ou nous apprendre quelque chose sur nous-mĂȘme ? De ce constat dĂ©coulent trois consĂ©quences directes PremiĂšrement, rĂ©aliser que les discours dominants jusquâĂ prĂ©sent, notamment en matiĂšre de culture, relĂšvent dâune perception masculine qui sâest prĂ©tendue universelle et qui conduit au dogmatisme il sâagit donc de sortir de lâillusion de lâuniversalisme du discours masculin. Par ailleurs, si les diffĂ©rences entre hommes et femmes relĂšvent, comme nous lâavons vu, dâune construction socioculturelle, il est dĂšs lors nĂ©cessaire de rĂ©inventer la femme », câest-Ă -dire de revendiquer une Ă©criture femme » permettant de sortir des dualismes Ă©troits influencĂ©s par une conception normative de lâĂ©criture comprenons que pour Annie Leclerc, lâuniversel ne se dĂ©crĂšte pas, il se construit dans la relation, entraĂźnant ainsi une modification radicale des conceptions symboliques liĂ©es au rapport entre masculin et fĂ©mininÂł ; Enfin changer les reprĂ©sentations Ă lâĂ©gard des femmes en lĂ©gitimant la perspective diffĂ©rentialiste, seule apte Ă mettre en question les reprĂ©sentations symboliques et culturelles. En pointant la relativitĂ© des discours masculins qui se percevaient pourtant comme universels, Annie Leclerc se prĂ©occupe donc de revaloriser tout ce qui sâattache traditionnellement au fĂ©minin, et qui lui semble prĂ©cieux non seulement pour les femmes mais pour la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre, que de sâemparer des prĂ©rogatives des hommes » source Car Les paroles des hommes ont lâair de se faire la guerre », ligne 16. Comme nous le voyons, Ă la diffĂ©rence de Simone de Beauvoir cf. Le DeuxiĂšme Sexe, avec sa tendance Ă©galitariste » et universaliste » visant Ă lâabolition de la diffĂ©rences des sexes, le courant diffĂ©rentialiste » dont lâextrait est trĂšs reprĂ©sentatif, vise Ă dĂ©fendre la fĂ©minitĂ© » de la femme. Annie Leclerc reprochait en effet Ă Simone de Beauvoir son adhĂ©sion excessive aux valeurs masculines ». Dans le texte au contraire, lâauteure sâadresse aux femmes et les incite Ă revendiquer leur fĂ©minitĂ©. Elle laisse entendre en effet que le fĂ©minisme est une idĂ©e dâorigine masculine qui renie la fĂ©minitĂ© elle-mĂȘme. Elle souligne ainsi que la dĂ©valorisation des tĂąches maternelles ou mĂ©nagĂšres dont le fĂ©minisme de lâĂ©poque se fait Ă©cho nâest en fait quâun concept purement masculin source CNED AcadĂ©mie en ligne. Comme elle lâaffirme, Ce nâest pas soigner sa maison, ou prendre soin de ses enfants qui est dĂ©gradant, non absolument pas mais câest le regard que lâhomme et la moitiĂ© de lâhumanitĂ© regarde de haut, pire ne regarde mĂȘme pas ». VoilĂ ce qui explique dans le texte la prĂ©sence de termes appartenant au champ lexical de lâunivers domestique et intimiste Je voudrais que la femme apprenne Ă naĂźtre, Ă manger, et Ă boire, Ă regarder le jour et Ă porter la nuit⊠» Lignes 36-37 Câest pourquoi, si Annie Leclerc revendique certes la libertĂ© dâavoir accĂšs, autant quâun homme, Ă ce qui compte socialement, elle se mĂ©fie du pouvoir », car il rĂ©primerait la fĂ©minitĂ© mĂȘme de la femme en gommant les diffĂ©rences et en uniformisant les individus. Plus que dâaffronter ouvertement lâordre social, le fĂ©minisme de la diffĂ©rence » est une revendication de lâaltĂ©ritĂ© de la femme et une reconnaissance de sa singularitĂ© par la parole. LâĂ©criture fĂ©minine, en valorisant une identitĂ© sexuĂ©e, est donc une Ă©tape essentielle de lâidentitĂ© fĂ©minine parce quâelle permet de mettre en question lâuniversalisme, en tant quâinstrument de domination sociale. En accĂ©dant Ă lâĂ©criture, les femmes obligent ainsi le pseudo-universel Ă avouer sa partialitĂ© fonder la domination masculine sous les traits hĂ©gĂ©moniques de lâuniversel masculin. _ B/ La nĂ©cessitĂ© dâune prise de conscience parole et identitĂ© fĂ©minine C ette double conquĂȘte de lâidentitĂ© et de lâĂ©criture est lâoccasion pour la femme de sâĂ©tablir comme sujet, de sâĂ©crire autre que ne lâont Ă©crite les hommes, non plus de lâextĂ©rieur mais de lâintĂ©rieur. Le corps fĂ©minin est, plus que le corps masculin, morcelĂ© dans la littĂ©rature masculine. Le corps senti, et non pas vu, reconquiert ainsi dans le texte son unitĂ© » source cela signifie se dĂ©gager des stĂ©rĂ©otypes romanesques qui voient dans la femme un bel objet » de littĂ©rature. Pour Annie Leclerc, lâĂ©criture est donc le lieu dâune reconquĂȘte par la femme de son propre corps regarder le jour⊠porter la nuit », signifie que la femme peut partir Ă la dĂ©couverte dâelle-mĂȘme, Ă la reconquĂȘte de son corps et de son dĂ©sir dâaffirmer ce quâelle pense vraiment. La conquĂȘte dâune parole de femme, câest-Ă -dire dâune Ă©criture fĂ©minine dans sa particularitĂ© et sa spĂ©cificitĂ© mĂȘmes, participe Ă cette quĂȘte dâidentitĂ©, quĂȘte humaniste dâun nouveau vivre ensemble. Il faut donc une prise de conscience » par la femme de son apport Ă la crĂ©ation littĂ©raire ; lâĂ©criture devient un moyen lĂ©gitime de se distinguer des hommes et de rĂ©inventer une culture permettant aux femmes de changer le monde La VĂ©ritĂ© peut sortir de nâimporte oĂč. Pourvu que certains parlent et dâautres se taisent. La VĂ©ritĂ© nâexiste que parce quâelle opprime et rĂ©duit au silence ceux qui nâont pas la parole. » lignes 31-32 Annie Leclerc, dans Je parlerai de moi 2004, qui est le dernier texte quâelle Ă©crira avant sa mort, affirme Jâai Ă©crit ainsi Parole de femme. On ne savait pas oĂč le ranger est-ce un essai ? Est-ce de la philosophie ? Est-ce de la poĂ©sie ? Câest tout cela, et ça mâest bien Ă©gal quâon ne sache pas le ranger. [âŠ] Ă ma maniĂšre, je mâoccupe de tout ce qui a Ă©tĂ© passĂ© sous silence, et les plus grands font cela je suis un peu prĂ©tentieuse !⊠La premiĂšre injonction faite aux femmes est tais-toi. Occupe-toi des enfants, de les amener Ă lâĂąge adulte, surtout de faire des petits garçons, de fabriquer des soldats. Occupe-toi de les mettre au monde, de les nourrir, de les Ă©duquer dans le bon sens, et tais-toi. Câest pourquoi jâavais appelĂ© mon livre Parole de femme, car la premiĂšre subversion des femmes, peut-ĂȘtre la plus importante, est la parole. [âŠ] Alors, suffit ! Il faut quâelles disent ce quâelles en pensent, et ne se contentent pas [âŠ] de se plaindre, de dire quâelles nâont pas la bonne part. Prendre la parole, câest sâoccuper de dire ce quâon en pense ». Dire ce quâon en pense » selon les termes dâAnnie Leclerc, câest donc dĂ©fendre le fĂ©minin » en Ă©criture [âŠ] par lâimposition sur la scĂšne littĂ©raire du droit des femmes Ă symboliser ce qui leur a toujours Ă©tĂ© interdit par les hommes »⎠la parole. Comme le note trĂšs remarquablement BĂ©atrice Slama, Pour une femme, Ă©crire a toujours Ă©tĂ© subversif elle sort ainsi de la condition qui lui est faite et entre comme par effraction dans un domaine qui lui est interdit. La LittĂ©rature est aventure de lâesprit, de lâuniversel, de lâHomme de lâhomme. Câest affaire de talent et de gĂ©nie, donc ce nâest pas une affaire de femme. [âŠ] On leur a longtemps fixĂ© des limites, concĂ©dĂ© des territoires la lettre-conversation et le roman fĂ©minin, la plainte de la mal mariĂ©e et la chronique du quotidien, les dĂ©licatesses du cĆur et les dĂ©chirures de la passion. On a voulu y voir des ouvrages de dames ». Quand des femmes sont sorties de ces limites et de ces territoires, quand il a fallu leur reconnaĂźtre talent et gĂ©nie, on a cherchĂ© la paternitĂ© » de leurs Ćuvres lâamant, lâami, le conseiller ou admirĂ©, leur mĂąle pensĂ©e » antennes qui vibrent aux idĂ©es dâautrui » ou femmes hommes » femmes par le cĆur, hommes par le cerveau »â”. Ăcrire sâapparente donc Ă une conquĂȘte de lâidentitĂ©. Il y a une claire revendication politique et sociale, et surtout une revendication identitaire lâĂ©criture fĂ©minine comme stratĂ©gie de libĂ©ration. En devenant sujet, la femme passe Ă lâHistoire et participe Ă la mĂ©moire collective. Ainsi lâĂ©criture incarne-t-elle pour Annie Leclerc la revendication des valeurs fĂ©minines. En se dĂ©partissant de plus en plus de lâarrogance machiste traditionnelle pour repenser le sens du lien social, cette parole de femme », fortement ancrĂ©e dans lâaffectivitĂ© et lâattention Ă autrui, dĂ©place les frontiĂšres Ă©tablies entre les sphĂšres privĂ©e et publique. En fait, il faut comprendre que le texte dâAnnie Leclerc pose ici, bien avant la lettre, les fondements dâune Ă©thique fĂ©ministe âle careâ comme lâattention, le souci, la responsabilitĂ©, les sentiments et les Ă©motions. Mais ne nous y trompons pas il ne faudrait pas interprĂ©ter le texte comme un retour de valeurs fĂ©minines de maternage dans la sociĂ©tĂ© ! Il ne sâagit en rien dâune dĂ©valorisation, bien au contraire la volontĂ© dâutiliser la fĂ©minitĂ© assigne Ă la perception du particulier et aux sentiments moraux une importance dĂ©cisive dans lâagir moral »â¶. Le care » comme Ă©thique fĂ©ministe Care en Anglais signifie prendre soin, Ă©prouver de lâattention envers autrui. Ce terme est Ă lâorigine dâun courant de pensĂ©e quâon dĂ©signe souvent sous le nom dâĂ©thique du care, câest-Ă -dire la volontĂ© dâinclure dans les discours rationnels » masculins, un discours plus spĂ©cifiquement fĂ©minin valorisant la sensibilitĂ©, lâattention portĂ©e aux individus et au particulier. Une idĂ©e essentielle du Care touche Ă la mise en question de lâuniversalisme et Ă la revendication dâune spĂ©cificitĂ© fĂ©minine. Plus prĂšs de nous, la psychologue Carol Gilligan a publiĂ© un best-seller intitulĂ© In a Different Voice Flammarion, 1986 dans lequel elle revendique que les femmes ont une vision diffĂ©rente des choses, apte Ă repenser le politique. Ă nâen pas douter, la pensĂ©e dâAnnie Leclerc a grandement contribuĂ© Ă ces nouveaux questionnements. Au modĂšle Ă©gocentrique du machisme tournĂ© vers la performance Les paroles des hommes ont lâair de se faire la guerre », domine un autre modĂšle apte Ă repenser la sociabilitĂ© celui du moi en relation avec les autres, Ă©criture de rencontre et de partage, Ă©criture sublimĂ©e qui confĂšre aux mots un pouvoir et une puissance extrĂȘmes. Pour dĂ©noncer la violence des hommes, Annie Leclerc conjugue en effet lâintensitĂ© dâun langage souvent transgressif et la pudeur dâune prose intimiste, proprement fĂ©minine, oĂč sont remis en cause lâorganisation rationnelle et le clivage entre le rĂ©el et le surnaturel, la raison et lâimaginaire »ⷠ; Ă©criture permettant ainsi un passage frĂ©quent du discours polĂ©mique au dĂ©voilement poĂ©tique. â 3 LA DIMENSION POĂTIQUE DU TEXTE A/ Une revendication qui passe par le langage poĂ©tique Le passage prĂ©sentĂ© met fortement lâaccent sur la fonction poĂ©tique du langage. La tonalitĂ© lyrique, aisĂ©ment reconnaissable Ă la prĂ©sence personnelle de lâauteure et Ă lâĂ©motion quâelle veut communiquer Ă ses lecteurs, sert la visĂ©e argumentative du texte. Le registre lyrique est associĂ© comme nous lâavons vu Ă une forte tonalitĂ© oratoire, apte Ă toucher et Ă sensibiliser ampleur de la phrase, choix Ă©vocateur des images. Ce quâon peut noter de prime abord, câest combien lâaccent est mis sur le caractĂšre spontanĂ© », direct », prosaĂŻque, ordinaire de cette parole de femme » point de mots grandiloquents issus des livres sages des bibliothĂšques ». On a davantage lâimpression que lâauteure Ă©crit, simplement et pudiquement, Ă la premiĂšre personne, pour se faire entendre dâun destinataire absent. LâĂ©crit ressemblerait presque Ă une confession, proche parfois du journal intime, du monologue intĂ©rieur Rien nâexiste encore qui ne soit le fait de lâhomme ; pas mĂȘme moi, surtout pas moi. » lignes 1-2 ; Câest une folie, jâen conviens. Mais câest la seule raison qui me reste » ligne 8. De fait, le texte peut se lire comme un long poĂšme en prose. De nombreux passages par exemple sont traversĂ©s par un projet dâautobiographie ou du moins de biographie Ă©crite qui confĂšre aux phrases une tonalitĂ© trĂšs intimiste, presque confidentielle. Ainsi que nous lâavons notĂ©, lâemploi du pronom personnel Je confĂšre une autoritĂ© et une authenticitĂ© aux paroles prononcĂ©es Câest une folie, jâen conviens »⊠Je voudrais que la femme apprenne⊠». Ă ce titre, on peut rappeler la forte modalisation du discours que nous Ă©voquions dans notre premiĂšre partie Annie Leclerc rĂ©vĂšle souvent dans son Ă©noncĂ© son point de vue, câest-Ă -dire ses prĂ©fĂ©rences, ses opinions, ses sentiments, ses sensations. LâĂ©noncĂ© contient alors des traces, des indices de cette subjectivitĂ©, ce qui accentue le caractĂšre personnel et lyrique du texte procĂ©dĂ©s lexicaux verbes dâopinion associĂ©s Ă lâamplification et Ă lâexagĂ©ration mâont rĂ©duite au silence⊠mâont forcĂ©e Ă me taire », adjectifs dâintensitĂ© bĂȘtes, mensongĂšres et oppressives » notez la gradation ternaire ; procĂ©dĂ©s grammaticaux conditionnel Je voudrais », tournures interrogatives oratoires ; procĂ©dĂ©s stylistiques hyperboles le monde est la parole de lâhomme », mĂ©taphores Le monde entier, Blancs, Noirs, Jeunes, femmes et enfants, fut nourri, gavĂ©, de son produit de base, la vĂ©ritĂ© et ses sous-produits, Ăąme, raison, valeurs⊠Le tout toujours garanti, estampillĂ© Universel », antiphrases grands parleurs », ces superbes parleurs », jeux de mots Une grande femme ne saurait ĂȘtre un grand homme », Nous avons fait les enfants, et eux, ils ont fait lâHomme », etc. Ces marques de modalisation renforcent donc lâintensitĂ© des sentiments. La langue, trĂšs recherchĂ©e malgrĂ© lâapparente simplicitĂ© est souple, ondulante, sonore Inventer une parole de femme. Mais pas de femme comme il est dit dans la parole de lâhomme ; car celle-lĂ peut bien se fĂącher, elle rĂ©pĂšte. Toute femme qui veut tenir un discours qui lui soit propre ne peut se dĂ©rober Ă cette urgence extraordinaire inventer la femme. Câest une folie, jâen conviens. Mais câest la seule raison qui me reste. lignes 5-8 Qui parle ici ? Qui a jamais parlĂ© ? Assourdissant tumulte des grandes voix ; pas une nâest de femme. Je nâai pas oubliĂ© le nom des grands parleurs. Platon et Aristote et Montaigne, et Marx et Freud et Nietzsche⊠» lignes 9-11 Dans ces passages oĂč se conjuguent autobiographie, philosophie et poĂ©sie, Annie Leclerc emploie un style particuliĂšrement ample cf. plus particuliĂšrement le et » emphatique soulignĂ© en gras qui permet au lecteur dâentrer dans la subjectivitĂ© de lâauteure, dâen ressentir les doutes, les passions, la colĂšre, les dĂ©sirs. Je voudrais que la femme apprenne Ă naĂźtre, Ă manger, et Ă boire, Ă regarder le jour et Ă porter la nuit⊠Notez lâorganisation rythmique de la phrase, presque musicale, construite pour mettre en valeur le lyrisme des images et les connotations des mots le mĂ©lange des termes prosaĂŻques âmanger, boireâ et des mots poĂ©tiques, rattache la femme au maternel et au temps ânaĂźtre, jour, nuitâ affamĂ©e et assoiffĂ©e de renouveau manger », boire », câest elle qui donne le jour et qui porte » la nuit comme si elle portait le monde. Ces derniĂšres images, empreintes dâun profond symbolisme, expriment des sentiments qui ont Ă la fois une dĂ©notation propre apprenne Ă naĂźtre » = se dĂ©barrasser des prĂ©jugĂ©s mais surtout un signifiĂ© de connotation qui place la femme, par mĂ©taphore », au sein dâun conditionnel de rĂȘve âje voudraisâ puisquâil sâagit dâinventer une parole Ă©troitement associĂ©e Ă un renouveau humaniste. La dimension poĂ©tique du passage, en constituant une place Ă lâintime, nâamĂšne pas seulement Ă faire entendre une parole de femme rĂ©fractaire Ă lâuniversalisation des savoirs, mais Ă faire vibrer dans toute sa plĂ©nitude le fĂ©minin dont il sâagit plus fondamentalement de reconnaĂźtre la fonction Ă©thique et sociale. Cette prise de conscience dâune identitĂ© fĂ©minine revendique en effet la recherche dâun nouveau sens, qui prend les dimensions dâune urgence extraordinaire » Inventer, est-ce possible ? » Avec poĂ©sie et sensibilitĂ©, Annie Leclerc sâattache donc Ă exprimer les nuances multiples de lâidentitĂ© fĂ©minine par un discours qui passe frĂ©quemment par la rencontre de la femme avec sa propre intimitĂ© qui est aussi sa plus intime altĂ©ritĂ© apprendre Ă se regarder autrement. Si la parole des femmes peut rendre le monde plus lisible, câest en se constituant comme lâindicible point dâintersection oĂč se nouent en elle le moi le plus intime lâintimitĂ© dâune femme, sa propre intimitĂ© et les exigences les plus universalistes Ă la fois journal intime et journal extime, rĂ©quisitoire et plaidoyer, Ă©criture profonde et spontanĂ©e, Ă lâĂ©coute de la plus secrĂšte intĂ©rioritĂ© mais aussi des bruits du monde. En fait, la dimension poĂ©tique que nous notions, en constituant une place Ă lâintime, ne consiste pas seulement Ă faire entendre une parole de femme rĂ©fractaire Ă lâuniversalisation des savoirs, mais Ă faire vibrer dans toute sa plĂ©nitude le fĂ©minin dont il sâagit de reconnaĂźtre la fonction Ă©thique et sociale voir plus haut Le care »comme Ă©thique fĂ©ministe dans la quĂȘte du sens comme en tĂ©moigne cet autre passage de lâessai dâAnnie Leclerc Un jour peut-ĂȘtre, ce sera la FĂȘte. Nous serons ensemble et confondus. Les taquineries, les caresses et les rires feront la ronde des vieillards aux enfants, des enfants aux adultes, des filles aux garçons, et de tous Ă tous. Les bouches fraĂźches baiseront les joues fanĂ©es. Les bras rhumatisants et lourds entoureront les vigoureuses Ă©paules. Et nous partagerons les fruits, le lait de nos labeurs. â B/ Un hymne Ă la vie P our Annie Leclerc, ce dont les femmes ont Ă©tĂ© intimement le plus privĂ©es, câest de la vie elle-mĂȘme la vie nâest pas constituĂ©e de rĂ©ponses toutes faites, simplificatrices et dogmatiques, elle est le fruit dâun cogito hermĂ©neutique qui amĂšne consĂ©quemment Ă se chercher et Ă essayer de se comprendre dans lâacte dâĂ©criture. Il nâest que de songer Ă cet autre extrait de Parole de femme, dans lequel lâauteure affirme Que je dise dâabord, dâoĂč je tiens ce que je dis. Je le tiens de moi, femme, et de mon ventre de femme. Car câest bien dans mon ventre que cela dĂ©buta, par de petits signes lĂ©gers, Ă peine audibles lorsque je fus enceinte. Et je me suis mis Ă lâĂ©coute de cette voix timide qui poussait, heureuse, Ă©merveillĂ©e, en moi. Et jâentendis une parole extraordinaire [âŠ] » Si la parole est ainsi au centre de la thĂ©orie fĂ©ministe, câest quâelle est lâexpression du corps, Ă la fois comme lieu dâune parole renouvelĂ©e et comme mĂ©taphore Ă la venue Ă lâĂ©criture au fĂ©minin [âŠ]. [L]âĂ©criture fĂ©minine se veut crĂ©ation, exhortation Ă la crĂ©ation, traversĂ©e de la chape de plomb du discours dominant, de la culture aux mains des hommes, et invention de langage, exploration dâun style autre, dâune autre voiex »âž. Ces trĂšs riches remarques de Patricia Godi-Tkatchouk montrent bien que pour les femmes, la parole est comme une naissance Ă soi-mĂȘme, une façon dâapprendre Ă vivre. Paradoxalement, la survalorisation des flux de paroles comme fin en soi, qui imprĂšgne la culture masculine dominante, a dĂ©personnalisĂ© les rapports humains. Comme nous le comprenons, lâun des dangers est que lâĂ©change ne se fasse plus par le langage, par la parole, mais par la force et lâarbitraire qui sâattribuent par le moyen des mots, un statut de fin. Dans un autre passage de Parole de femme, Annie Leclerc Ă©voque lâharmonie de nos rimes », câest-Ă -dire la pure expression du besoin de sâexprimer, de rompre le silence, de franchir des barriĂšres de langage, levĂ©es des censures sur le corps, donc des jouissances et ses douleurs, le dĂ©sir [âŠ], lâaccouchement ; le rapport Ă la mĂšre ; Ă la nourriture ; lâenfermement et le dĂ©sir paniquĂ© de sorties et dâenvol, rĂȘves de naissances et de traversĂ©es »âč. Lâextrait Ă©tudiĂ© est caractĂ©ristique de cette quĂȘte poĂ©tique et symbolique questionner le mystĂšre infini de la vie, voilĂ le sens de la parole pour Annie Leclerc. Le registre Ă©motionnel et intimiste sur lequel se clĂŽt le passage, presque Ă©crit sur une veine confessionnelle, peut donc se lire comme une invitation jubilatoire faite Ă la femme dâassumer sa propre sensibilitĂ©, mais Ă©galement sa fĂ©minitĂ© » porter la nuit » comme une femme porte un enfant », nâest-ce pas servir la cause mĂȘme de la vie ? Nâest-ce pas sâaffirmer comme sujet ? Cette derniĂšre image qui est comme une revendication de sa fĂ©minitĂ© par la femme, emmĂšne le lecteur dans un voyage au cĆur des mots, oĂč la parole fait vivre la libertĂ© dâimaginer et de crĂ©er, oĂč la voix sâexprime dans un jeu dâombres et de lumiĂšre regarder le jour⊠porter la nuit⊠». Images profondĂ©ment lyriques et poĂ©tiques assez improbables⊠Annie Leclerc est dâailleurs consciente de lâimmensitĂ© de la tĂąche qui exige de ne pas enfermer la femme dans un concept clos. La fin du texte rĂ©sonne en effet comme un appel. La vĂ©ritable culture est celle de la nature et de la vie mĂȘmes, oĂč les mots nâont pas lâair de se faire la guerre ». Apprendre Ă naĂźtre, Ă manger, et Ă boire, Ă regarder le jour et Ă porter la nuit », câest pour la femme renaĂźtre au monde dans lâacte de la communion du monde, qui est aussi une connaissance du monde » il faut apprendre Ă naĂźtre », tant il est vrai que toute connaissance est une nouvelle naissance. NaĂźtre Ă soi-mĂȘme par lâĂ©criture, pour mieux ĂȘtre Ă soi-mĂȘme, nâest-ce pas lĂ le message du texte ? Le fĂ©minisme dâAnnie Leclerc se conjugue ainsi avec un humanisme Ă rĂ©inventer. â CONCLUSION Les propos dâAnnie Leclerc dans ce passage de Parole de femme se situent sur deux registres celui de la revendication militante et fĂ©ministe ; et celui du sensible, de lâintime, du lyrisme personnel. Son inspiration, qui puise aux sources du corps et de lâexpĂ©rience fĂ©minine, explore ainsi les paramĂštres dâune Ă©criture-femme, pleinement assumĂ©e, qui caresse lâĂ©nigme dâun moi fĂ©minin, intĂ©grĂ© Ă une nouvelle maniĂšre de penser, invalidĂ©e du rĂ©fĂ©rent masculin. Cette Ă©criture sâimpose ainsi comme une vĂ©ritable stratĂ©gie de libĂ©ration, qui sâapparente Ă une revendication identitaire Ă©crire, câest exister. Sâassimiler Ă la culture des hommes, câest prĂ©cisĂ©ment ne pas prendre la parole. Lâattachement dâAnnie Leclerc Ă une parole de femme » est donc comme la cĂ©lĂ©bration dâune nouvelle naissance amenant la femme Ă naĂźtre Ă elle-mĂȘme. Mais le rĂŽle de cette parole de femme est aussi de tĂ©moigner de lâinvisible, de celles qui se taisent » tandis que certains parlent ». Ă cet Ă©gard, le texte nâest-il pas aussi une rĂ©ponse Ă un monde qui ne sait plus communiquer, et dont les bruits incessants ne sont que dâinutiles paroles ? Ainsi, le fĂ©minisme doit-il ĂȘtre conçu non comme une revendication catĂ©gorielle, mais comme un bouleversement des valeurs qui gouvernent la sociĂ©tĂ© inventer, est-ce possible » ? Ă nâen pas douter, inventer la femme consiste Ă rĂ©inventer lâhomme en construisant un monde plus Ă©quitable, apte Ă promouvoir des changements significatifs et Ă repenser les enjeux du pouvoir. En ce sens le fĂ©minisme est posĂ© comme une condition essentielle dâun nouvel humanisme, câest-Ă -dire dâune nouvelle idĂ©e de lâhomme et de la femme⊠Copyright © mars 2016, Bruno Rigolt. DerniĂšre rĂ©vision du texte lundi 28 mars 2016 1721 Netiquette comme pour lâensemble des textes publiĂ©s dans lâEspace PĂ©dagogique Contributif, cet article est protĂ©gĂ© par copyright. Ils est mis Ă disposition des internautes selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution â Pas dâUtilisation Commerciale â Pas de Modification France. La diffusion publique est autorisĂ©e sous rĂ©serve de mentionner le nom de lâauteur ainsi que la rĂ©fĂ©rence complĂšte de lâarticle citĂ© URL de la page. NOTES 1. Anna Rita Iezzi, La PensĂ©e en narrations diffĂ©rence sexuelle et poĂ©tique de la relation chez Nancy Huston, ThĂšse de doctorat sous la direction de Nadia Setti, UniversitĂ© de Paris 8âVincennes-Saint-Denis Centre dâĂtudes fĂ©minines et dâĂtudes de genre, page 149. 2. Aline Mura-Brunel, Le pouvoir infini de lâinfime », in Stella Harvey and Kate Ince, Duras, Femme du SiĂšcle papers from the first international conference of the SociĂ©tĂ© Marguerite Duras, held at the Institut français, London, 5-6 February 1999, page 49. 3. Cf. ces trĂšs intĂ©ressants propos dâIda Dominijanni GrĂące Ă lâexpĂ©rience fĂ©minine, nous savons en effet que lâoppression dont les femmes souffrent dĂ©pend moins des conditions matĂ©rielles et juridiques de leur existence sociale que de leur position dans lâordre symbolique qui nous traite comme un objet et non un sujet du dĂ©sir et du langage. Une femme nâest pas libre quand elle ne peut pas se penser et se dire libre ; et elle ne peut pas se penser et se dire libre tant que sa mesure reste la mesure phallocentrique de lâautre [âŠ] ». Ida Dominijanni, Politique du symbolique et libertĂ© des femmes » In Christiane Veauvy, Les Femmes dans lâespace public. ItinĂ©raires français et italiens, Ăditions de la Maison des sciences de lâhomme, Paris/Le fil dâAriane UniversitĂ© -Paris 8, Saint-Denis, 2004. Page 198. 4. Delphine Naudier, LâĂ©criture-femme, une innovation esthĂ©tique emblĂ©matique », SociĂ©tĂ©s contemporaines, 2001/4, n° 44, pp. 57-73. 5. BĂ©atrice Slama, De la littĂ©rature fĂ©minine » Ă lâĂ©crire-femme » diffĂ©rence et institution », LittĂ©rature, annĂ©e 1981, volume 44, n°4 pp. 51-71. 6. Marie Garrau, Alice le Goff, Care, justice et dĂ©pendance Introduction aux thĂ©ories du care, Philosophies », PUF Paris 2015. Pour accĂ©der Ă la citation, cliquez ici. 7. StĂ©phanie Traver, CrĂ©ation au fĂ©minin, MontrĂ©al 1998. 8. Patricia Godi-Tkatchouk, Voiesx de lâAutre PoĂšte femmes XIXe-XXIe siĂšcles, Actes du colloque LittĂ©ratures, UniversitĂ© de Clermont-Ferrand/Presses Universitaires Blaise Pascal, 2010. Page 21. 9. Françoise van Rossum-Guyon, Le CĆur critique Butor, Simon, Kristeva, Cixous, Amsterdam, Ăditions Rodopi 1997, page 158. â Voir aussi Jean-NoĂ«l Jeanneney, GrĂ©goire Kauffmann sous la direction de, Annie Leclerc, Parole de femme » in Les Rebelles, Une anthologie, Paris, Le Monde/CNRS Ăditions, 2014. SxlXq.